Traversée en solitaire


Après le tsunami mondial généré par la parution des « 50 nuances de Grey », certains ont prédit que cela allait libérer les lecteurs, que la littérature érotique allait enfin sortir de son placard pour oser s’afficher. Au niveau des ventes, il y a eu un boum effectivement, qui a essentiellement profité aux parutions anglo-saxonnes (pas toujours de bonne qualité d’ailleurs) et aux œuvres françaises déjà anciennes. Pour ces dernières, Histoire d’O a bénéficié d’une réédition, de même que la série des Emmanuelle, ou encore 9 semaines et demi dont la réédition est annoncée pour novembre aux éditions du Diable Vauvert. Ici, la médiathèque de Belfort a osé proposer une exposition de grande qualité consacrée à la littérature érotique. Cet événement a rencontré un franc succès, si bien que la durée a été rallongée de quinze jours. Mais à part cela, quoi de vraiment neuf sous le soleil ? Et bien pas grand chose.

Hier, je participais à une bourse aux livres. Alors que les années précédentes, les stands des vendeurs étaient tous très sages, j’ai pu constater que cette année, plusieurs proposaient des livres érotiques. Je m’en suis réjouie, me disant qu’enfin, ce n’était plus tabou. Je me suis même prise à penser que mon stand risquait d’intéresser quelques visiteurs… Après tout, j’avais fait des ventes l’an dernier, eu des échanges très intéressants avec des personnes curieuses ou amatrices de cette littérature. Mais mon optimisme fut de courte durée.

Nous sommes loin, dans la campagne provinciale, d’avoir tordu le cou aux préjugés et aux tabous ! Des visiteurs (rares, je ne sais pour quelle raison -même si j’ai ma petite idée- cette bourse n’a pas eu le succès escompté) gênés, ne sachant où poser leur regard pour éviter ma table et ses ouvrages « scandaleux » (aux couvertures pourtant sages), répondant à peine à mes salutations systématiques, pressés de fuir vers des tables moins audacieuses… Ont-ils eu les mêmes réactions lorsqu’ils ont été confrontés aux piles monumentales des fameuses « 50 nuances » exposées dans les supermarchés et autres FNAC ? Ah mais suis-je bête, ce n’est pas la même chose voyons, on en avait parlé à la télé, dans les journaux, ce qui donnait une certaine légitimité à leur omniprésence…

Pourtant il y a des lecteurs puisque les deux volumes auxquels j’ai contribué (Transports de femmes et Secrets de femmes) qui figurent à la bibliothèque municipale sortent très régulièrement. Une visiteuse avec qui j’ai longuement discuté hier m’expliquait ce paradoxe de cette façon : Ils sont très coincés vous n’y pouvez rien ! Et si ils empruntent vos livres, c’est par voyeurisme et pour pouvoir dire ensuite « Ah mais vous savez, c’est celle qui écrit des histoires de cul ! », tout en commérant allègrement. L’analyse est loin d’être fausse. J’ai même pu entendre des propos de cet acabit à propos de Régine Deforges il n’y a pas si longtemps par ici, c’est dire ! Pourtant, elle a amplement démontré qu’elle savait faire -et très bien- de l’excellente littérature généraliste.

Et pourtant, je n’écris pas que de l’érotique. J’avais avec moi le tapuscrit de ma nouvelle à paraître en décembre et qui justement ne l’est pas. Historico-fantastique, elle a de plus un cadre géographique local et j’espérais vraiment pouvoir en parler avec quelques personnes. Mais là aussi ce fut en vain, car pour s’intéresser à ce texte, il aurait fallu me parler, m’approcher ! Vade retro satanas…

Je crois que ce qui dérange finalement, c’est le fait que j’assume pleinement ce que je fais, que j’en parle sans aucun complexe. Mais pourquoi n’en serait-il pas ainsi finalement ?

 

 

Publié par Isabelle Lorédan

Autrice nouvelliste et romancière

5 commentaires sur « Traversée en solitaire »

  1. Mais non, au contraire, pourquoi en être dérangée ? C’est bien d’être fière d’assumer et d’en parler. Tant pis pour ceux et celles qui n’ont pas le courage d’oser écouter.
    Très bonne continuation.
    Irena

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    1. 🙂 Merci à vous Irena. Mais il est vrai que parfois, je me dis que cela aurait été plus facile si j’avais été éditée dans un genre plus « classique » au départ… Mais la concurrence aurait été également beaucoup plus vaste. Bref, c’est assez cornélien finalement.

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  2. Est ce que c’est l’effet « Province » ? Les visiteurs ont peur qu’un voisin ne les surprennent en train de feuilleter un ouvrage érotique par exemple… un souci que nous n’avons pas à Paris.. Anonymat garanti partout… Je regrette moi aussi cette hypocrisie … et j’espère que le cru 2014 sera plus joyeux !

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  3. Et oui c’ est vrai, les tabous et les interdits sont encore tenaces dans notre société professant sa morale institutionnalisée, résurgence de siècles et de siècles d’ obscurantisme religieux. On rase les murs pour entrer dans un sex-shop en province, on se détourne des rayonnages de livres érotiques en bibliothèque ou en librairie, on en parle jamais, ô grand jamais ni entre amis ni en famille de certains sujets concernant la sexualité au risque d’ être qualifiés de déviants ou de pervers, Les  » grands moralisateurs  » et non les moralistes ont toujours pignon sur rue et imposent leurs diktats aux bien-pensants…. il y a du chemin à faire pour que la société se libère de son joug !

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