L’hymne à l’humour


charlie217J’ai grandi dans une famille où la religion n’était pas le centre des préoccupations. Mes parents, mariés civilement, m’avaient fait baptisée -par tradition et parce qu’ils faisaient partie d’une génération pour qui, un acte de baptême pouvait être salutaire, mais je n’ai jamais mis les pieds au cathéchisme, n’ai pas communié et encore moins confirmé. Et pourtant, on ne peut pas dire que le curé de mon village n’ait pas tout fait pour contrer cela. Par deux fois il vint à la maison pour m’inciter à aller au cathéchisme, il poussa même le bouchon à me faire passer, par le biais de camarades de classe, le message que je ne pourrais jamais me marier ! Comme quoi le mensonge ne le rebutait pas, pour peu qu’il fut pour SA bonne cause.

Pour autant, mon père avait lu la Bible, parce que disait-il, pour pouvoir critiquer quelque chose, il faut savoir de quoi l’on parle. Pour ma part, j’ai évolué dans un entourage multi-cultuel. Sur la terre protestante du Pays de Montbéliard, on comptait des juifs, des musulmans -en nombre, les usines Peugeot n’y étant pas étrangères, des catholiques… Et jamais il n’y eu de frictions, nous n’en parlions pas, tout simplement. Bien qu’athée convaincue, j’ai toujours respecté les croyances de mes amis et ce respect était réciproque. Ainsi ai-je été émue aux larmes lorsqu’une amie, catholique pratiquante me dit, lors des obsèques civiles de mon père auxquelles elle assista, « Je prierai pour lui et pour toi ». Parce que cela venait du fond de son cœur. Pourtant, je l’ai brocardée -elle et d’autres- sur la religion, donnant parfois dans l’humour noir et décalé que j’apprécie tant, sans que jamais nul ne puisse supposer que j’insultais sa -leurs- croyances. C’était de l’irrévérence, en aucun cas de l’irrespect.

Je n’ai pas compris pourquoi, depuis plusieurs décennies, on a monté les communautés les unes contre les autres. Parce que pour moi, la seule communauté qui existe, c’est celle des humains. Nous avons tous un cœur, un cerveau, deux bras, deux jambes. Nous aimons tous nos enfants, nous sommes tous français. Pourquoi les médias, systématiquement, parlent de français d’origine turque, algérienne ou marocaine lorsqu’ils annoncent un fait divers alors qu’ils ne parlent pas de français d’origine italienne ou polonaise ? En quoi est-ce utile à l’information ? Il ne saurait y avoir, dans une république, de citoyens moins -ou plus mal- français que d’autres…

J’ai été outrée, dans les heures qui ont suivi les attentats de la semaine dernière, que certains somment les français musulmans de proclamer qu’ils se désolidarisaient des terroristes. En quoi sont-ils responsables de cette folie ? Les catholiques sont-ils responsables des exactions commises par l’Inquisition ? Les américains étaient-ils responsables de celles du Klu-Klux-Klan ? Cela n’a aucun sens. C’est à cela que la foule impressionnante des français descendus dans les rues de France ce dimanche à dit « non ». Ce n’étaient pas des cortèges de catholiques, de musulmans ou que sais-je encore, mais d’hommes, de femmes, d’enfants, blessés dans leur identité de français et d’êtres humains, une grande communion républicaine et laïque comme on n’en avait jamais vu.

Je peux comprendre que des musulmans français soient blessés par les caricatures de Mahomet, mais se n’est pas pour autant qu’ils en appellent au meurtre ! C’est par le débat que l’on s’exprime, en aucun cas par la violence. Si l’on veut répondre à une caricature, que l’on en fasse une autre en réponse, que l’on écrive, que l’on fasse un discours… Que l’on se mette tous autour d’une table afin d’échanger des points de vue contradictoire. Tout en monde en sortira enrichi de la vision de l’autre… C’est cela la démocratie. Et quand on y réfléchit bien, si Charlie Hebdo avait été provocateur avec les catholiques, les juifs et s’était abstenu vis à vis des musulmans, n’aurait-il pas encore plus stigmatisé ceux-ci en les jugeant indignes d’avoir de l’humour et du second degré ?

Ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est la conscience d’une part, mais aussi et surtout le rire. Ce sont les régimes totalitaires et dogmatiques qui interdisent aux peuples de rire. Souvenez-vous, dans Le Nom de la Rose, de ce religieux qui fait interdire les livres drôles et assassine ceux qui les lisent ! Il n’est pas si loin des assassins de Charlie Hebdo, mais est bel et bien catholique…

Charlie Hebdo depuis ses origines (et même Hari-Kiri avant lui) fut conspué par beaucoup de personnes -dont certaines n’hésitent pas aujourd’hui à affirmer qu’elles sont Charlie… Cherchez l’erreur, parce que blasphématoire, vulgaire, outrancier ou que sais-je encore. Mais… Personne n’est obligé d’acheter un journal ou un livre, mais n’est pas non plus obligé d’en priver ceux qui l’apprécient. Il doit y avoir de la place pour tout et pour tout le monde. Et c’est valable pour bien d’autres choses. Auteure érotique, je comprends que certains n’apprécient pas cette littérature, mais elle existe depuis la nuit des temps et doit pouvoir continuer d’exister. Même si elle n’est pas toujours de bon goût, même si elle est outrancière. Il y a quelques années, je me suis amusée à écrire une nouvelle dont la première partie fut publiée dans Secret de femmes (éditions Blanche). Il s’agit de Les tourments de Marie-Laure, qui met en scène une bourgeoise bigote. Si cette première partie est relativement modérée (du moins d’un point de vue blasphématoire), il n’en va pas de même de la suite (non éditée à ce jour). Avec ce texte, j’ai joué à me moquer du dogme, des rites… et des tartufes en tout genre qui, dans leur quotidien, ont des actes à l’opposé de la bonne moralité qu’ils revendiquent pourtant au grand jour. Je ne me suis rien interdit et me suis beaucoup amusée en écrivant cette nouvelle, je l’avoue. Et si c’était à refaire, je recommencerais sans hésiter. Pas pour le plaisir de blasphémer (encore que 😉 ), mais parce que je ne vois pas au nom de quoi je m’interdirais de parler des travers de certains, sous couvert du respect d’une religion.

Enfin, je terminerai ce long billet en revenant sur l’humour. Lorsque mon fils était petit, je lui ai expliqué que pour ne pas être atteint par la bêtise des autres, il devait cultiver l’auto-dérision. Se moquer de soi-même déstabilise l’adversaire c’est lui couper l’herbe sous le pied. Cultivons l’autodérision et l’humour, parce que c’est ce qui nous permet d’être meilleurs, plus ouverts, plus humains. Et pour ceux qui trouveraient cela stupide, je répondrai par cette phrase de Forrest Gump « Il n’y a de stupide que la stupidité ».

Publié par Isabelle Lorédan

Autrice nouvelliste et romancière

2 commentaires sur « L’hymne à l’humour »

  1. Un très beau texte pour la défense de la Laïcité. Les gens qui dénigrent Charlie Hebdo, tous ces « Je ne suis pas Charlie », qui le veulent sa disparition sans même l’avoir lu, ou sans se renseigner sur ce qu’il contient vraiment, ne savent pas que ses rédacteurs sont avant tout de grands défenseurs de l’idéal laique; ou peut-être ne savent-ils même pas ce qu’est la Laïcité. Bravo et merci

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